Domaine Georges-Lombrière | Interview de Benoit Lombrière
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Entretien avec Benoit Lombriere,

Vigneron à Châteauneuf-du-Pape

Pouvez-vous vous présenter en 3 minutes ?

Je suis Benoit Lombrière, vigneron, propriétaire avec mon épouse Marie, du Domaine Georges-Lombrère à Châteauneuf-du-Pape. Il y a trois ans, nous avons racheté au père de Marie, qui partait à la retraite, 5 des 13 hectares qu’il exploitait. Une magnifique opportunité pour nous que de travailler sur ce terroir d’exception de Châteauneuf-du-Pape.
Dès le départ, nous avons associé à notre aventure Alaric de Portal, qui est proche de notre famille et qui est un fin connaisseur du monde du vin et de ses acteurs. Et nous avons créé ensemble notre Domaine, pour faire un vin qui nous ressemble.

Quel est votre parcours ?

Ma famille vient du Périgord, où on est paysans depuis des siècles. J’ai grandi à la ferme jusqu’à l’âge de sept ans environ. C’est sans doute de là que vient mon goût pour le terroir, pour les produits sains, pour le respect des cycles naturels. J’ai toutefois un parcours atypique pour un vigneron. Après mon bac, j’ai étudié à Sciences-Po à Bordeaux, avant de suivre des études de commerce à l’ESSEC en région parisienne. J’ai débuté ma carrière dans les institutions, j’ai été au cabinet de plusieurs ministres, puis à la Présidence de la République.

Comment vous est venue la passion ? L’envie de faire du vin ?
Je crois que j’ai toujours su que je viendrais, tôt ou tard, à un métier en rapport avec le travail de la terre. Je viens de là. Et j’ai toujours été passionné par le vin. Au fur et à mesure des dégustations, des rencontres, des échanges, c’est même devenu un élément central de ma vie. J’aime la diversité des émotions autour du vin, la convivialité d’une dégustation entre amis, les échanges passionnés qui en naissent. Alors quand nous avons eu l’opportunité de reprendre une partie des vignes familiales sur le magnifique terroir de Châteauneuf-du-Pape, nous n’avons pas hésité.
Nous y sommes allés avec de grandes ambitions, et en nous entourant de personnalités passionnées, de références et d’excellence pour faire équipe avec nous :

– Claude et Lydia Bourguignon nous ont aidé à approfondir la connaissance de nos sols, ce qui est un préalable indispensable pour produire le meilleur raisin possible ;
– Pierre-Jean Villa, lui-même vigneron en Côte-Rôtie et en Condrieu, nous a apporté son regard bienveillant sur la vinification et les assemblages ;
– Franck Ferraton, qui veille au quotidien sur nos vins avec un talent qui n’a d’égal que sa modestie.
Avec notre énergie, notre envie, et entourés comme nous l’étions, nous avons décidé de nous lancer et de faire un vin de passionnés, emmené par un puissant collectif. Bref, un vin qui nous correspond !

Je crois que j'ai toujours su que je viendrais, tôt ou tard, à un métier en rapport avec le travail de la terre. Je viens de là.

C’est quoi le meilleur vin du monde selon vous ?
La cuvée Marie du Domaine Georges-Lombrière ! Plus sérieusement, je n’aime pas cette idée de compétition, de « meilleur ». Il y a tant à découvrir !
Il faut rester curieux, suivre son propre instinct, ne pas avoir d’idées préconçues sur ce qu’on va boire. Moi par exemple, j’aime les vins de vignerons passionnés par leur terroir, mais qui ont en plus un parti-pris, une identité, quelque chose à défendre quand ils font du vin. C’est ce que nous essayons de faire nous aussi au Domaine. A la limite, le meilleur vin du monde, ça doit rester un objectif à atteindre pour le vigneron. Mais le jour où il se dit : « ça y est, j’ai fait le meilleur vin du monde », alors on peut commencer à sérieusement s’inquiéter.

Quelle place / quel positionnement pour le Domaine Georges-Lombrière face aux prestigieux domaines de ce terroir ?
A Châteauneuf-du-Pape, nous avons la chance immense d’avoir une appellation renommée dans le monde entier, à juste titre d’ailleurs. Il y a donc de la place pour tout le monde, et je n’ai pour ma part aucun concurrent à Châteauneuf-du-Pape, je n’ai que des confrères.
La taille de notre exploitation, qui produit environ 10.000 bouteilles par an, nous permet aussi d’être complètement libres de défendre notre vision du Châteauneuf-du-Pape :
– Une agriculture respectueuse de la terre : les apports que nous faisons sur les sols sont tous d’origine organique, nous désherbons mécaniquement donc sans aucun herbicide, et tout ce qui touche la vigne chez nous est agréé « agriculture biologique ».

– Un vin très marqué par le Grenache, aux extractions douces pour retrouver la délicatesse du fruit, un coté aérien qui permet au terroir de Châteauneuf-du-Pape d’exprimer toute sa subtile complexité, plutôt que d’être un concentré de bois ou d’alcool.

Il y a 30 ou 40 ans, les vins de Châteauneuf-du-Pape étaient beaucoup plus clairs qu’aujourd’hui, avec un peu moins de Syrah et une très forte dominante de Grenache, cépage fabuleux mais qui produit des vins clairs.
Notre volonté est de revenir à un Châteauneuf-du-Pape que l’on avait un peu oublié, délaissé ces dernières années. Au Domaine Georges-Lombrière, nous avons voulu revenir dans cette veine de Châteauneuf-du-Pape qui met le Grenache en valeur, ce qui correspond bien au terroir de nos vignes. Nous ne sommes pas les seuls sur l’appellation à aller dans ce sens, bien évidemment : cela fait des années que Château Rayas, une grande référence pour nous, produit des vins qui sont presque aussi clairs que des Bourgogne.
Nous essayons de produire un vin qui nous correspond, un vin de raisin plutôt que de cave, sans se comparer aux autres. Un ami restaurateur l’autre jour me disait : « ton Châteauneuf il est bon, on dirait un grand Pinot de Bourgogne qui serait venu planter ses racines à Châteauneuf-du-Pape et qui aurait pris une bonne rasade de soleil avant d’entrer dans la cuve. »

Quelles sont les valeurs et les forces de votre domaine ?
− La cohérence avec notre terroir ;
− L’engagement d’un collectif de gens exigeants et passionnés ;
− La recherche de l’excellence sans devenir un vin élitiste ;
− La curiosité et l’ouverture d’esprit sur les autres vins du monde ;
− La bienveillance et la bonne humeur.

Quelles sont les prochaines étapes ? Les prochains vins ?
Nous ne voulons pas multiplier les références, nous produisons 10.000 bouteilles par an, c’est une production assez confidentielle, nous préférons concentrer notre attention sur une seule cuvée de Châteauneuf-du-Pape rouge, la Cuvée Marie.
Au premier semestre 2017, nous mettrons en bouteille notre premier Châteauneuf-du-Pape blanc, sur le millésime 2016. Nous en sommes très fiers car il est très prometteur. Il y en aura un peu moins de mille bouteilles. Nous réfléchissons aussi à proposer un Côtes-du-Rhône rouge très qualitatif et un peu décalé, je vous en dirai un peu plus quand le projet sera mûr…

Comment voyez-vous votre domaine dans 10, 20, 30 ans ?
Se développer sans perdre notre identité, continuer avec notre équipe, avec son unité à tendre vers l’excellence, ne pas s’endormir en se disant « ça y est, on est arrivés ».

Cela veut dire quoi être entrepreneur pour vous ?
Etre entrepreneur, c’est avoir une vision très claire du but qu’on veut atteindre, de ce qu’on veut défendre, et avoir la capacité de partager cette vision avec un collectif. Le Domaine Georges-Lombrère, ça n’est pas l’histoire d’un vigneron seul dans son chai. C’est une aventure collective avec des gens qui ont tous envie de défendre la même chose. Vous savez, reprendre des vignes, ça a été un choix. Ça n’était pas une obligation, et encore moins une nécessité. Avec notre production confidentielle, on aurait pu se dire « laissons nous porter par notre appellation prestigieuse, faisons un Châteauneuf-du-Pape honnête et ça ira bien comme ça ». On a fait un autre choix, celui de défendre une interprétation du Châteauneuf-du-Pape qui n’est pas forcément la plus évidente, mais qui est celle qui nous correspond, celle qui permet à chacun de ceux qui participent à cette aventure de se réaliser, avec les risques que cela comporte. C’est sans doute ça, être entrepreneur.

Être entrepreneur, c'est avoir une vision très claire du but qu'on veut atteindre, de ce qu'on veut défendre, et avoir la capacité de partager cette vision avec un collectif.

Certain(e)s critiques sont dithyrambiques sur le premier millésime de la Cuvée Marie, comment expliquez-vous ce succès ?
C’est vrai que notre 2014 a été d’emblée très bien accueilli, et que le 2015 est en train de l’être encore davantage. Même si cela ne guide pas notre manière de faire le vin, ça fait quand même plaisir. Peut être que ce qui transparaît dans notre vin, c’est sa cohérence, la sincérité de notre travail d’équipe, notre communauté de vues. L’envie que l’on a eu de mettre le meilleur de nous même dans ce vin, sans essayer de copier tel ou tel.

La Cuvée Marie est déjà présente sur de grandes tables : Anne Sophie Pic, Yannick Alléno, Alain Dutournier, Hélène Darroze, Stéphane Jégo, Guillaume Iskandar et même la Présidence de la République. Comment avez-vous fait ?
Nous avons pris nos bouteilles sous le bras, et nous sommes allés voir les restaurants, les chefs, les sommeliers. Il y en a avec qui nous avions des affinités, et d’autres chez lesquels nous étions clients. Nous sommes aussi présents sur de nombreuses tables plus anonymes, qui ont toutes en commun le respect des produits et du terroir. C’est ça, au fond, notre fil rouge. Nous avons expliqué ce que nous avons voulu défendre dans nos bouteilles et dans notre vin en présentant notre démarche : un Châteauneuf-du-Pape pas complètement classique. Je pense que c’est cela qui a plu.

Dans quels restaurants rêveriez-vous d’être référencés ?
Des restaurants tenus par des chefs qui font attention à leurs approvisionnements, qui connaissent les producteurs, les éleveurs avec qui ils travaillent, et qui s’attachent à mettre en valeur la diversité du terroir français. Les deux premiers restaurateurs qui nous ont fait confiance étaient Alain Dutournier, qui a un lien viscéral avec ses Landes natales, et Guillaume Muller, le sommelier du restaurant « Garance » à Paris, qui a récemment repris la ferme familiale dans le Limousin. Voilà des restaurateurs qui nous ressemblent. Pour répondre plus directement à votre question, j’ai fait l’un des plus beaux repas de ma vie chez Bras à Laguiole. Je crois que je serais heureux d’être retenu pour accompagner sa cuisine.

Votre devise ?
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ». C’est de Mark Twain.

Votre péché mignon ?
J’en ai deux : la chartreuse VEP et le Château-Chalon !

Votre plus grande fierté ?
Mes enfants, mon épouse, ma famille et ce qui est en train de se passer avec notre domaine, réussir à créer un mouvement collectif avec des personnalités dont j’admire le travail, qui nous accompagnent dans cette aventure et de faire que cela rencontre un succès !

Définir votre domaine en 3 mots ?
Excellence, Passion, Respect du terroir.

Quelles sont vos qualités / vos défauts ?
− L’enthousiasme, la passion, la volonté.
− L’intransigeance, et le fait de faire confiance un peu trop vite : je préfère être déçu que de passer à côté de quelque chose.

Qu’est ce qu’un bon vin pour vous ?
C’est celui qu’on aime partager.

Votre vin préféré ?
Au baptême de ma fille, il y avait bien entendu notre « Cuvée Marie », qui porte le nom de ma femme. Mais aussi la cuvée « Carmina » de Pierre-Jean Villa en Côte-Rôtie, et « A Françoise » de Thibault Boudignon en Anjou.

Votre restaurant préféré ?
Je vais me faire trop d’ennemis si je réponds à cette question !